Parlez-vous le langage des flics et des voyous ?
"On cherche des barbus pour faire le plastron. Tu es tout désigné pour le tapissage de cet après-midi." Si vous traduisez sans peine "tapissage" par "séance d'identification" et "plastron" par "faux suspect", vous avez toute chance d'être un poultock, un râteau, ou un dek. Un flic, quoi.
Pour les autres, le Dictionnaire des mots des flics et des voyous peut faire office de "tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le parler des commissariats". L'auteur, Philippe Normand, commandant à la police judiciaire pendant trente ans, y explore, via l'argot, les arcanes d'un milieu interlope, mi-pègre mi-flicaille. Le "poulet", le voyou et la prostituée s'y disputent la plus grande somme de synonymes, les perles d'Audiard y côtoient celles de Brassens ou de Gainsbourg, le jargon des années vingt se mêle aux dernières trouvailles - "se faire madoffer" en hommage à l'escroc américain, ou le "sarkomètre" du Président ex-premier flic de France qui chiffre, par service, l'ensemble des actions policières.
De la multiplication des pains
Au gré des définitions, le quotidien des "martiens" (jeunes recrues aux épaulettes vertes) obligés de marianniser des piles de dossiers ("apposer un timbre humide, la Marianne, en bas de chaque feuillet d'une procédure judiciaire") rejoint celui des "youves" (voyous, en verlan) de "T6" (cité). Les mêmes préoccupations s'y retrouvent, telle la "multiplication des pains". "Exemple simple : un véhicule est utilisé par une société prestataire de services pour se rendre chez un certain nombre de clients dans la journée. Au lieu de faire payer par chaque destinataire sa contribution aux frais, la totalité des kilomètres parcourus est facturée à chacun des clients. Petit prodige obtenu par bidouillage des statistiques. Le voleur d'un chéquier est arrêté après avoir écoulé les trente formules du carnet. Un seul délit pour le vol d'un carnet de chèques est venu plomber les statistiques de la délinquance, alors que, parallèlement, trente infractions ont été miraculeusement élucidées. Un délit constaté, trente affaires élucidées !"
Il y a pourtant, c'est inévitable, de légères inflexions de sens. Comme pour "laisser sécher", qui, côté flic, consiste à "déposer un véhicule volé en stationnement quelques jours, le temps de vérifier s'il est équipé d'un système secret de localisation par satellite". Et, côté prostitution, "faire une pause avant de reprendre un nouveau client". Ou "score", tour à tour énoncé d'une condamnation, bon ravitaillement pour un drogué ou nombre d'interpellations faites dans le mois.
Mais, opérations réussies ou non, le refrain reste le même : "Que fait la police ?" Définition : "Question posée quand elle est là. Question posée quand elle n'est pas là."
Dictionnaire des mots des flics et des voyous, de Philippe Normand (Balland, 411 p., 26,90 euros)
"On cherche des barbus pour faire le plastron. Tu es tout désigné pour le tapissage de cet après-midi." Si vous traduisez sans peine "tapissage" par "séance d'identification" et "plastron" par "faux suspect", vous avez toute chance d'être un poultock, un râteau, ou un dek. Un flic, quoi.
Pour les autres, le Dictionnaire des mots des flics et des voyous peut faire office de "tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le parler des commissariats". L'auteur, Philippe Normand, commandant à la police judiciaire pendant trente ans, y explore, via l'argot, les arcanes d'un milieu interlope, mi-pègre mi-flicaille. Le "poulet", le voyou et la prostituée s'y disputent la plus grande somme de synonymes, les perles d'Audiard y côtoient celles de Brassens ou de Gainsbourg, le jargon des années vingt se mêle aux dernières trouvailles - "se faire madoffer" en hommage à l'escroc américain, ou le "sarkomètre" du Président ex-premier flic de France qui chiffre, par service, l'ensemble des actions policières.
De la multiplication des pains
Au gré des définitions, le quotidien des "martiens" (jeunes recrues aux épaulettes vertes) obligés de marianniser des piles de dossiers ("apposer un timbre humide, la Marianne, en bas de chaque feuillet d'une procédure judiciaire") rejoint celui des "youves" (voyous, en verlan) de "T6" (cité). Les mêmes préoccupations s'y retrouvent, telle la "multiplication des pains". "Exemple simple : un véhicule est utilisé par une société prestataire de services pour se rendre chez un certain nombre de clients dans la journée. Au lieu de faire payer par chaque destinataire sa contribution aux frais, la totalité des kilomètres parcourus est facturée à chacun des clients. Petit prodige obtenu par bidouillage des statistiques. Le voleur d'un chéquier est arrêté après avoir écoulé les trente formules du carnet. Un seul délit pour le vol d'un carnet de chèques est venu plomber les statistiques de la délinquance, alors que, parallèlement, trente infractions ont été miraculeusement élucidées. Un délit constaté, trente affaires élucidées !"
Il y a pourtant, c'est inévitable, de légères inflexions de sens. Comme pour "laisser sécher", qui, côté flic, consiste à "déposer un véhicule volé en stationnement quelques jours, le temps de vérifier s'il est équipé d'un système secret de localisation par satellite". Et, côté prostitution, "faire une pause avant de reprendre un nouveau client". Ou "score", tour à tour énoncé d'une condamnation, bon ravitaillement pour un drogué ou nombre d'interpellations faites dans le mois.
Mais, opérations réussies ou non, le refrain reste le même : "Que fait la police ?" Définition : "Question posée quand elle est là. Question posée quand elle n'est pas là."
Dictionnaire des mots des flics et des voyous, de Philippe Normand (Balland, 411 p., 26,90 euros)