Poésies de L'amour
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Dans le coeur des amants qui boivent la lie, brûlent les désirs ardents.
Dans le for intérieur des sages au coeur sombre, il y a des réfutations.
La raison dit: "Ne pose pas ici le pied, car dans l'anéantissement, il n'y a que des épines."
L'amour répond à la raison: "C'est en toi-même que se trouvent les épines."
Oh! reste silencieux, arrache l'épine de l'existence de ton coeur,
Afin de découvrir dans ta propre âme des roseraies,
Ô Sham Tabrîzî! Tu es le soleil caché dans le nuages des lettres.
Quand ton soleil s'est levé, se sont effacées les paroles.
Je suis devenu comme une prière par tant de prières que j'ai faites;
Quiconque voit mon visage me demande de prier pour lui.
Mais à tes yeux, j'ai la couleur des impies,
Car tes yeux qui tuent sans merci quand ils me voient cherchent la guerre.
Si la séparation d'avec toi me tue, je lui pardonne:
Quel prix du sang peut réclamer à celui qui le tue
Le captif mis à mort dans la guerre sainte?
Je t'ai salué, je t'ai prêté un serment d'allégeance, Tu m'as dit: "Comment es-tu?"
Je suis dans l'état du pauvre cuivre qui appelle la pierre philosophale.
Le portrait est tel que l'a fait le peintre;
Le corps blessé est tel qu'il réclame le remède.
Que tes paroles ne soient pas comme l'ombre devant le soleil!
Les poussière s'enfuient de l'ombre et cherchent un rayon de lumière.
Oh! la générosité et la bienfaisance de Shams de Tabrîz!
Le soleil de la voûte azurée lu réclame un don.
Celui à qui s'est dévoilé le mystère de l'amour,
Celui-là n'est plus, car il s'est effacé dans l'amour.
Place devant le soleil la chandelle ardente
Et vois comme son éclat disparaît devant ces lumiéres:
La chandelle n'existe plus, la chandelle s'est transmuée en lumiére.
Il n'ya plus de signes d'elle, elle-même est devenue signe.
Il ne va de même pour du feu corporel dans la lumiére de l'esprit:
Il ne reste pas feu, il devient cette flamme.
Le ruisseau court à la recherche de l'océan;
Il se perd quand il s'est noyé dans l'océan.
Tant que la recherche existe, le cherché n'est pas connu;
Quand l'objet de la recherche est atteint, cette recherche devient vaine.
Donc, tant que la recherche existe, cette quête est imparfaite.
Quant la recherche n'est plus, elle acquiert alors la suprématie.
Tout être sans amour qui cherche un turban
Est dépourvu de tête ne sont alors pour lui qu'une épine.
Comme moi, il est devenu, dans la passion qu'inspire Shams-od-Dîn,
Celui qui dans son coeur recèle tous ces secrets.
Le Chant du soleil de Rûmî, de Eva de Vitray-Meyerovitch,
Marie-Pierre Chevrier,(novembre 1997)
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La raison est la chaîne
Des marcheurs, ô mon fils
Libére toi d'elle, la voie
Est visible, ô mon fils!
La raison est la chaîne
La coeur est le trompeur
Et la vie est le voile
Le chemin est caché
De ces trois, ô mon fils!
Divan p. 151
RUMI, La Connaisance et le Secret,
de Ramdom Michel, (1996) Dervy
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DORS
Toi qui ne connais pas l'amour,
Tu peux te le permettre: dors.
Va, son amour et son chagrin
Sont notre bien à tous, toi dors.
Chagrin de l'amant: un soleil,
Nous particules, particules.
Toi qui n'as pas vu dans ton coeur
S'élever ce plaisir, toi dors.
En cherchant à m'unir à lui,
Je m'écoule comme de l'eau.
Toi qui n'as pas cette tristesse
Du "Mais oú donc est-il?" toi dors.
Il passe, le chemin d'amour,
Hors des soixante-douze voies.
Puisque ton, amour er ta foi
Ne sont que ruse et feinte, dors.
Son vin du matin, notre aurore,
Son charme seul, notre dîner.
Toi qui veux manger des délices
Et te soucier du dîner, dors.
Dans notre recherche alchimique,
Comme le cuivre, nous flambons.
Toi, le lit est ton compagnon
Et ta seule alchimie, toi dors.
Comme enivré, à droite, à gauche,
Tu tombes, puis tu te relèves.
Maintenant la nuit est passée,
C'est le moment de pier, dors.
Le destin a clos mon sommeil,
Alors va-t'en, toi le jeune homme,
Car si le sommeil est passé,
on peut le rattraper, toi dors.
Tombés dans la main de l'amour,
Mais que va-t-il faire de nous?
Toi, tenu dans ta propre main,
Mets-toi sur ta main droite et dors.
Moi je suis un mangeur de sang,
Toi, mon cher, mangeur de délices.
Puisqu'à la suite des délices
Le sommeil est naturel, dors.
Moi j'ai coupé toute espérance
De mon crâne et de ma pensée.
Toi qui conserves comme espoir
Pensée humide et fraîche, dors.
J'ai déchiré l'habit du mot,
J'ai bondonné la parole,
Mais toi qui n'as pas le corps nu,
Tu as besoin d'un habit, dors.
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ME VOICI
J'étais mort, vivant me voici,
J'étais larme, ris me voici,
Arriva le bonheur d'amour,
Bonheur éternel me voici.
J'ai la vision rassasiée
J'ai le souffle rempli d'audace,
la bile intrépide du lion,
Vénus ardente me voici.
Il dit: "Mais on, tu n'es pas fou,
Pas digne de cette maison."
Je suis parti me rendre fou,
tel les attachés me voici.
Il dit: "Mais non, tu n'es pas ivre,
Va, tu n'es pas de cette espèce."
Je suis parti, me voici ivre,
Et rempli de joie me voici.
Il dit: "Mais non, tu n'es pas mort,
Tu n'es pas souillé par la joie."
À sa face qui donne vie,
Mort et effondré me voici.
Il dit: "Oh oui, tu es rusé,
Ivre de doute et de pensée."
Alors ignorant, effrayé,
Détaché de tous me voici.
Il dit: "Tu es une bougie,
Celui vers qui l'assemblée prie."
Assemblée ne suis, ni bougie,
Fumée dispersée me voici.
Il dit: "Tu es le cheikh, la tête,
Devant tu mènes le chemin."
Cheikh me suis, ni menant chemin,
Ton suiveur-d'ordres me voici.
Il dit: "Tu as plumes et ailes,
je ne te donne aile ni plume."
Désirant ses plumes, ses ailes,
Sans aile et plumes, me voici.
La chance nouvelle m'a dit:
"N'avance plus et sois sans peine.
Par bonté, générosité,
Le venant-vers-toi me voici."
Le voici l'amour m'a dit: "D'auprès
De nous ne te déplace pas."
J'ai dit: "Non, je ne bouge pas,
Immobile ici me voici."
Tu es la source du soleil
Et moi je suis l'ombre du saule.
Toi, tu m'as frappé à la tête,
Misérable en feu me voici.
Mon coeur trouva l'éclat du souffle,
Mon coeur s'ouvrit et se fendit,
Mon coeur tissa nouveau brocart,
Haine des haillons me voici.
Le visage du souffle, à l'aube,
Se vanta, sous le coup d'ivresse:
"J'étais domestique et ânier,
Roi et grand seigneur me voici."
Reconnaissante, elle est, ta feuille,
De sentir ton sucre sans fin,
Quand elle est venue prés de moi,
Moi, comme elle alors me voici.
Reconnaissante, terre triste,
Pour le ciel et la roue courbée,
À sa vue, à son tournoiement,
Capteur de clarté me voici.
Reconnaissante, roue du ciel,
Pour le roi, pour l'ange et la terre.
Par sa généreuse bonté,
Clair et généreux me voici.
Reconnaissant, l'homme du Vrai,
Car la tête de tous nous sommes.
Sur les sept étages du ciel,
Brillante étoile me voici.
J'étais Vénus, me voici Lune,
Et la roue deux cents fois pliée,
J'étais Joseph, dorénavant
Faiseur de Joseph me voici.
Comme les échecs sois mobile
Et silencieux, mais tous parole.
Visage-tour du roi du monde:
Heureux, victorieux me voici.
Le livre de Chams de Tabriz de Rumi,
Broché - (1993) Gallimard